L'ambiguité de l'apparence

 

"Nous ne laisserons après nous que des tinettes pleines". Michel-Ange, carnets

"Nous sommes de moins en moins conscients de l'informulé, de moins en moins surs, au point de dénier qu'il puisse même y avoir un informulable et, I'invisible nous semble ou a été accepté au siècle dernier ou durant les deux derniers siècles, comme attribués à une illusion". Brion Gysin, journal, 1973

"Dans le rêve, les objets nous apparaissent tels qu'en plein jour. A l'état de veille, la moindre impression extérieure produite par la lumière nous est perceptible; et même lorsque l'organe subit un choc d'origine mécanique, la lumière et les couleurs y jaillissent" Goete, traité des couleurs, introduction.

L'ambiguïté de l'apparence, toujours moyenne entre l'être et le non-être, nous inspire une salutaire méfiance qui est l'ABC de l'ironie. L'apparence n'est pas rien quoiqu'elle ne soit pas Vraie et c'est bien cela qui la rend si perfide.

 

La peinture de William Burroughs est l'expression de son écriture en couleur. L'idéogramme de rêve aborde le réel sans traducteur, directement. Ainsi que l'observe l'historien d'art Achille Bonito Oliva, il titre sa force d'écrivain et de peintre d'une précision et d'un ajustement de chasseur.

 

Ecouter son silence relisant une écorce d'arbre, dépliant une branche que le vent avait ployé ramassant une feuille viridescente flamée de carmin. II est impossible de ne pas être trappe par l'accélération jubilatoire d'une réflexion au seuil de l'ironie, qui explose dans la page écrite ou la peinture. Ce sont des actes graves si l'on admet que la vérité est l'ensemble des circonstances qu'exprime l'art. II peut être effrayant par compression d'une lucidité qui donne le vertige.

 

Cette extrême douceur peut brusquement se verticaliser, tenir au sol comme une épée servant de bêche. L'homme se résume dans le regard pâlissant, I'homme qui n'a pas de révélation, pas de message, encore moins de conseil à donner ou à délivrer, pas de théorie ni de système, mais un immense respect de la vie. ses amis du monde et ses amis de France ont de lui des moments conservés jalousement comme le bruit de la mer dans un coquillage; et luis toujours en créativité et en expérience, avance, éternellement au présent. Impossible de dire s'il devance son oeuvre ou si elle le pourchasse.

Nous avons cité Brion Gysin, ce très grand peintre-écrivain, grand seigneur des sables, barbare primordial, enfant naturel de Dionysos, initiateur du Cut Up parce que son poignard ou son butter avait glissé et fendu une feuille de journal. Le hasard et la nécessité.

Nous avons cité Goete, grand poète et grand peintre qui s'emploie dans le traité des couleurs, à faire l'inventaire des perceptions humaines et dont l'objet est finalement de démontrer qu'il n'y a pas de génie mais des interférences de perception.

L'excuse du poète.

Nous avons cité Michel-Ange pour son effroyable laconisme.

Le passé du peintre William Burroughs commence avec les planches d'études de caractère Mayas, de hiéroglyphes égyptiens rehaussés d'aquarelle, quand il appartenait au département de langues anciennes de l'université de Mexico. Ses "livres de rêves", ses scrapsbooks sont bien ceux d'un peintre car on est peintre lorsqu'on accepte de donner à voir. Quand la lumière de la fenêtre de Brion s'est éteinte, par amour, par amitié et par reconnaissance, Burroughs s'est mis à peindre...

 

Rosine Buhler

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