AU SUJET DU DIFFERENTIEL STRUCTUREL

ROGER LANTERI

 

Le DIFFERENTIEL STRUCTUREL DE A.K. met en lumière l'ordre dans lequel les niveaux d'abstraction apparaissent. Sa compréhension, dans un premier temps, puis son intégration, nécessairement progressive, dans un deuxième temps, sont fondamentales pour qui souhaite une adaptation la plus nuancée possible à ce qui est, démarche qui s'inscrit dans un "principe sain d'incertitude", synonyme d'ouverture à l'univers des possibles.

Normalement, ce que nous appelons "mon esprit" fonctionne selon deux modes distincts (ou qui devraient l'être si chaque niveau d'abstraction était respecté) et fondamentalement différents, soit, pour faire au plus simple :

* concevoir ou percevoir.

Or, en raison de la confusion de différents niveaux d'abstraction, il m'est apparu que acte de conception et acte de perception sont dans la plupart des cas allègrement confondus.

3 GRANDES STRATES COMPOSENT LE DIFFERENTIEL STRUCTUREL

A - La strate de l'événement, dont je ne puis faire beaucoup état ici, ma culture scientifique étant relativement limitée. Je crois savoir toutefois qu'il s'agit d'un niveau invisible qui, selon la science actuelle, fait état de structures atomiques, d'ondes électromagnétiques, etc, d'une complexité infinie et en perpétuel changement.

B - La strate de l'objet, qui est celle des niveaux silencieux où chacun fait apparaître SON objet, par réaction de l'organisme face au niveau de l'événement. C'est le niveau du monde perceptif, du réel, niveau essentiellement dynamique, régit selon deux lois fondamentales qui sont :

- la loi de la différence (il n'existe pas 2 objets, attitudes, etc, exactement identiques)

- la loi du changement (tout change à chaque instant, tout se transforme, en interaction avec l'environnement).

C- La strate des différents niveaux verbaux, qui est celle où chacun parle au sujet des ressentis et des choses (avec plus ou moins de fiabilité et de précision), depuis la description factuelle, jusqu'au niveau d'inférences et d'abstractions de niveau de plus en plus élevé. Parler au sujet des choses se fait par le biais d'un processus, universel chez l'être humain, la généralisation. Des que je m'exprime, je généralise, et plus je généralise, lus je m'éloigne de la dynamique et de la précision de l'objet réel, le problème étant moins de généraliser que de prendre sa pensée (la généralisation) pour réelle.

DU PERCU VERS LE CONCU : 1 exemple de confusion de niveaux d'abstraction :

Un jeune étudiant, écoutant attentivement l'exposé sur le Différentiel Structurel, me posa un soir la question suivante : "Où situez vous le réel ? Autrement dit, si je fais mention par exemple au stylo qui est posé là sur la table, est-il là où je le vois où est-il sur la table?"

Je lui fis la réponse suivante :

"Au niveau purement silencieux et perceptif, il est là où vous le voyez, et vous êtes le seul de la classe et à jamais à le percevoir de la sorte. Maintenant, si nous parlons au sujet de "où se trouve ce stylo", nous passons alors dans la strate des différents niveaux verbaux, et le nombre de réponses est théoriquement infini : ce stylo peut être considéré comme étant sur la table, ou bien dans la classe, ou bien dans l'université, ou bien dans la ville d'Antibes, ou bien dans les Alpes-Maritimes, ou bien en France, ou bien en Europe, ou bien dans le Monde, et pourquoi pas quelque part dans un point de l'univers, etc." J'ai ajouté : "nous pourrions débattre, comme le font les personnes qui adorent les débats contradictoires et se perdre dans moult contradictions, mais je crois que ce ne serait pas nécessairement constructif, le point à remarquer ici étant que vous confondez dans votre question le niveau de l'objet et les niveaux verbaux". Tiraillé dans un premier temps par sa question (l'organisme trinque lorsqu'on se débat dans de telles questions), le jeune homme fut rapidement soulagé par la simplicité ( c'est moi qui le dis !) de la réponse.

Ce que l'on voit dans cet exemple c'est combien les discussions que nous pouvons avoir au sujet de choses nous éloignent du niveau de l'objet, lorsque nous prenons à notre insu nos pensées pour réelles.

REMARQUES AU SUJET DU D.S.

Au sujet de la strate de l'événement : Le niveau de l'événement n'étant pas perceptible en tant que tel, nous sommes obligés pour en parler, de passer par la stgrate des différents niveaux verbaux, ce qui forme un petit paradoxe.

Au sujet de la relation entre le "perçu" et le "concu" : Le fait de confondre ces deux modes engendre à divers degrés des troubles au sein de notre "complexe corps-esprit" (je préfère ce terme à celui de "système nerveux", terme que je juge un peu trop "matérialiste" et qui sous-entendrait que la "conscience" pourrait venir du corps). Autrement dit, il me paraît important de ne pas confondre GENRE et INDIVIDU, cela constituant selon moi un enseignement de toute première importance ressortant de l'étude du D.S.

Alors qu'un élève me demandais : "Aimez-vous l'humanité (les humains ?)", je lui fis la réponse suivante : "Où est donc l'humanité que je lui fasse une bise sur les deux joues ? Je puis éventuellement apprécier, aimer ou non chaque individu concret que je recontre au niveau de l'objet, mais, l'humanité en général (LE GENRE), je ne l'ai jamais rencontrée, et je ne l'aime donc pas, ce qui reviendrait à aimer un concept à la place d'un être humain bien réel". (Je donne toujours 1000 Euros de prime à qui rencontrerais "le francais en général")

Au sujet des niveaux silencieux :

Voici une histoire qui illustre bien selon moi les niveaux silencieux :

Des élèves assis sous un arbre attendaient leur professeur de Sémantique Générale, celui devant leur faire un cours sur les différents niveaux silencieux. Le professeur arrive, ouvre son livre, s'apprête à parler. A l'instant où il va prendre la parole, un merle se met à chanter dans l'arbre. Le professeur, grand amoureux et respectueux de la nature, se tait pour laisser chanter le merle. 2 minutes plus tard, le merle s'arrête. Le professeur referme alors son livre et dit : "le discours est terminé".

Voici quelques suggestions pour que ces niveaux silencieux soient tant soit peu opérationnels et transformateurs au quotidien :

1. Arrêter de verbaliser à tort et à travers (mettre des étiquettes comme si les catégories existaient en soi - confiner une sujet dans son attribut par des chosifications, etc)

2. S'exercer à observer ses pensées, ne pas porter de jugement sur elles (ce qui serait soi dit en passant une autre pensée !), ne pas les qualifier

3. Avoir de plus en plus conscience que ce que vous pensez ou dites au sujet d'une chose n'est pas la chose et n'en fait par ailleurs nullement une vérité.

Lorsque l'on commence à vivre à des niveau silencieux de plus en plus profonds, un "présent" émerge, perçu de plus en plus concrètement, permettant à l'individu d'avoir conscience qu'il pense, qu'il conçoit, ce qui implique une dés-identification, les pensées n'étant alors plus prises pour réelles. Ce partant, "les choses" et "tout ce que je sais au sujet des choses" ne sont plus confondus, jusqu'au moment où le dérapage recommence, etc.

ROGER LANTERI, A NICE, LE 15 MARS 1999.

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