INTERVIEW DE SIMONE

Publiée dans Objectifs 5,  Automne 1985

©  Isabelle AUBERT-BAUDRON

 

  Simone est suivie en psychiatrie depuis les années cinquante. Venant de N. ou elle avait été hospitalisée une dizaine d'années, elle est arrivée à. T. à. l'ouverture de l'hôpital pour pouvoir se rapprocher de sa famille. Elle a donc vécu de l'intérieur l'évolution de la psychiatrie depuis une trentaine d'années. Elle a bien voulu répondre à nos questions pour Objectifs et nous donner son point de vue sur les divers hôpitaux qu'elle a connus et les différentes méthodes de soins qu'elle y a subies.

Simone : Ici, c'est mieux qu'a. N., on a la liberté.

Objectifs: C'était fermé, là-bas, à N. ?

S.: Oh ! Oui, on ne sortait qu'avec une infirmière

O.: Jamais vous ne sortiez toute seule ?

S.: Non, non, les portes étaient barrées.

O.: C'étaient des services de combien de personnes à peu près ?

S.: Ah ça ! Je ne saurais pas vous dire. C'était un grand service, mais par contre les gens qui étaient hospitalisés dans mon service étaient bien, quoi ! Tout le monde n'était pas mélangé comme ici. Il y avait plusieurs pavillons. Les incurables, on ne les voyait pas. C'était au 5. On était choisies, on était toutes bien. On avait des roulements de vaisselle. On ne la faisait pas toutes les semaines.

O.: Vous ne faisiez pas la vaisselle tous les jours comme ici ?

S.: Non, une semaine on faisait la vaisselle, l'autre semaine on débarrassait les tables, on allait chercher le café à la cuisine le matin, on se relayait, on était nombreuses aussi. N., c'est plus grand qu'ici.

O..: Est-ce que vous touchiez un pécule a N.?

S.: Oui, on en touchait. Je brodais aussi. On embauchait à 2 heures pour finir à 6 heures et on travaillait aussi le matin. Les heures, je ne m'en souviens plus.

O.: Vous étiez occupée une bonne partie de la journée ?

S.: Oh oui. Mais j'étais en meilleure santé, maintenant j'ai de l'arthrose, ça handicape.

O.: Aviez-vous des entretiens avec le médecin ?

S.: Non, nous n'avions pas de réunion, qu'avec des jeunes. Je n'ai jamais vu de médecin. J'avais vu le docteur T. mais quand il est mort, le docteur W. est venu. Il ne m'a pas appelée. Jamais nous n'avions de réunion avec lui.

O.: Et ici, est-ce que le docteur vous appelle dans son bureau ? Avez-vous des entretiens avec lui?

S.: Pas vraiment. Seulement quand je veux partir.

O.: Vous demandez à le voir et vous lui expliquez les conditions dans lesquelles vous sortez ?

S.: Oui. On m'a dit ce matin qu'il voulait bien que je parte. Quant aux conditions, il a dit qu'on en reparlerait. Moi je suis d'accord, mais s'il veut me faire revenir ici une fois par semaine, moi je ne veux pas. Je préfère que les infirmières viennent me voir plus souvent.

O.: Mais vous irez peut-être à la Clairière ?

S.: Oh, non, non ! C'est trop loin. C'est là que je piétine. C'est une trop longue marche. Déjà quand je vais à la Coop ou à la Caisse d'Epargne ou au marché, c'est trop loin.

O.: Est-ce que vous aviez une pension a N. ?

S.: Non.

O.: C'est en arrivant ici que vous en avez eu une ?

S.: En arrivant ici, je me suis mise à travailler à l'extérieur. Je faisais des heures de ménage.

O. : Mais à ce moment-là vous touchiez une pension ?

S.: Non.

O.: Et la pension que vous avez maintenant, c'est une pension pour adultes handicapés ?

S. : Je ne sais pas, mais je n'ai pas de carte d'adulte handicapé, tandis que R. a une carte de handicapé.

O.: Je sais qu'il y a deux sortes de pension : pour adulte handicapé et la pension d'invalidité.

S.: C'est la pension d'invalidité que j'ai.

O.: Et vous touchez combien par mois, en gros ?

S.: Ah ! Je ne peux pas vous dire.

O.: Vous ne savez pas si c'est autour de 1000 ou 2000 francs ?

S : Non.

O. : Mais pour en revenir à N., vous sortiez en promenade quelquefois ? Comment ça se passait quand vous vouliez aller faire des courses, par exemple ?

S.: Quand on voulait aller faire des courses, on sortait avec une infirmière et trois pensionnaires

O.: Et vous êtes restée combien de temps à N. ?

S.: Une dizaine d'années. Je venais de l'Oise, du plus grand centre psychiatrique d'Europe. J'habitais dans la Seine et Marne et je suis allée là-bas. C'était une ville de malades, il y avait une grande boulangerie à l'intérieur, des grandes portes noires, des barreaux aux fenêtres, des camisoles de force, des maillots de corps, des chaînes. Moi, je n'ai jamais eu tout ça, je n'étais pas méchante. Il y avait des maillots complets. Vous connaissez ça, non ?

O.: Non.

S.: Le maillot complet, on attache les bras au lit et les jambes au lit pour qu'on ne donne pas de coup de pied.

O.: Tout ça n'existe plus maintenant. Il n'y avait pas les mêmes médicaments qu'aujourd'hui aussi.

S.: Ça commençait juste, en 1955.

O.: C'est en 1955 que vous avez été hospitalisée pour la première fois ?

S.: Là-bas, oui. Sinon je suis allée à Avrillé, près d'Angers. Ils m'ont fait des électrochocs.

O.: Et qu'est-ce que ça vous a fait ?

S. Ça faisait de l'effet un mois, puis je rechutais. Ensuite, mon mari m'a dit, "On va te faire hospitaliser à Clairmont". Et à Clairmont, il paraît qu'ils ont dit que je n'aurais jamais dû avoir d'électrochocs.

O.: Et à Clairmont, vous y étés restée combien de temps ?

S.: De 1955 à ... je ne me souviens plus. Plusieurs années. Mon mari, au début, il me sortait. Et puis après, il m'a laissée à l'hôpital psy. On n'a pas divorcé, c'est pour ça que je porte toujours mon alliance. On est encore mariés. Il est en retraite maintenant.

O.: Vous n'avez pas de nouvelles de lui ?

S.: Non. J'en avais par ma fille, mais ma fille est morte maintenant. Je suis tombée malade à 23, 24 ans. Mes enfants étaient tout petits. Danièle se souvenait de moi. Je prenais ma fille. Mon fils, j'allais le voir toutes les semaines, mais il n'a pas souvenance de moi. Il était trop petit.

O.: Et lui, où est-ce qu'il était ?

S.: Chez ma belle-mère, dans la famille.

O. Et quand vous êtes venue ici, de N., qu'est-ce qu'on vous a dit ?

S.: Que c'était pour me rapprocher de ma famille. Et T. c'est ma dernière escale.

O.: Ici, finalement, vous avez une maison ?

S.: Oui, c'est bien, mais si j'arrive à couvrir tous mes frais. Je me fais installer le téléphone.

O.: Et s'il y avait des améliorations à apporter ici, lesquelles souhaiteriez-vous ?

S.: Que tous les malades ne soient pas mélangés.

O.: Vous trouvez que c'est un inconvénient ?

S.: Oh, oui ! Parce qu'Untel, j'en ai peur.

O. Vous supportez mal les violences, les bagarres ?

S. : Oh, oui ! Quand Untel pousse ses colères, j'en ai peur. Je n'avais jamais vu ça ailleurs. Il serait en cellule ou attaché. Vous n'en avez pas peur, vous ?

O.: Si, ça m'arrive.

S. : Tiens ! Mais il y a aussi des gens qui sont gentils, comme madame B. Elle est gentille, cette femme-là. Elle va bientôt partir, elle aussi. Elle reviendra pour ses piqûres.

O.: Et ici, qu'est-ce que vous faites ? Vous participez au restaurant ?

S.: Oui, ça me plaît, ça.

O : Voyez-vous d'autres améliorations à part ça ? Vous parliez du pécule, l'autre jour, à la réunion, vous auriez souhaité avoir un pécule le dimanche et les jours de fête pour la vaisselle.

S.: Oui, ça vous pouvez le dire. Et d'ailleurs, il n'y a pas que moi qui le dis.

O.: Sinon comme activité, qu'est-ce que vous aimeriez faire ?

S.: Oh ! Maintenant je vais partir. Autrement, ce serait la couture. Sinon, l'encadrement, c'est une affaire d'homme, ça, je trouve. Et les puzzles, ce n'est pas si facile, un vrai casse-tête chinois. C'est vrai, hein ! Et le dessin, je ne fais pas des choses extraordinaires. Je n'ai que mon certificat d'études. Il y a un véritable artiste peintre en dessous. C'est beau, ce qu'il fait. Tout ce qu'il fait, on voit que c'est un peintre.

O.: Voyez-vous autre chose à dire ?

S.: Non, c'est tout. Moi, je suis très sensible, aux contrariétés comme aux joies. Une petite joie, c'est une grande joie pour moi, et une petite contrariété s'en est une grande.

O.: Voyez-vous autre chose à rajouter ?

S.: Non.

O.: Je vous remercie de cet entretien, Simone. Vous aurez le prochain Objectifs gratuitement puisque vous y avez participé. Si vous êtes chez vous quand il sortira, nous vous l'enverrons.

Propos recueillis par Isabelle Baudron

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