Henri Laborit - Fabrice Rouleau : "L'Alchimie de la Découverte" (Grasset)

Sur la minaprine Agr 1240 (Cantor)

Pour le meilleur des mondes
(extraits)

A l'issue d'une conférence que donnait Laborit en 1966, un psychiatre se leva pour déclarer, non sans emphase, qu'il le voyait comme un « hardi explorateur qui, tel un Viking, s'élance sans peur sur les eaux profondes et dangereuses de la pensée scientifique à la découverte de nouveaux rivages ». Laborit s'oriente en effet avec des moyens de fortune. Peut-être sera-t-il applaudi, un jour futur, d'avoir su conserver sa route contre vents et marées.

Epurer l'homme néocéphalique de l'homme paléocéphalique n'est pas chose simple, et il ne faut omettre qu'aucune des drogues découvertes par Laborit ne parvient à ce résultat. La neuropsychopharmacologie dont il a été l'un des pionniers permet essentiellement de désintéresser l'individu de son environnement, de le soumettre à la volonté du médecin, voire de le plier à une idéologie dominante comme cela se pratique dans les hôpitaux psychiatriques en URSS (pays qui fabrique d'ailleurs du gamma OH et a réalisé de nombreux travaux à son sujet) et les prisons en Occident. Comprenant les limites d'une telle pharmacologie qui enchaîne l'homme plutôt qu'elle ne le libère, Laborit change d'orientation « philosophique » au début des années 70 et cherche des drogues susceptibles de développer l'efficacité de l'individu sur son environnement social en le libérant de ses inhibitions. L'Agr 1240 ou minaprine, de la famille des pyridazines, semble remplir ce rôle.

C'est autour de l'étude clinique approfondie de la minaprine que Jean-Pierre Muyard et Laborit se rencontrent dans le cadre de la clinique pyschiatrique Laborde à la Cour-Cheverny, réputée pour son avant-gardisme. Une première expérimentation sur une centaine de cas répondant à toutes les définitions des maladies du psychisme, depuis l'état bénin jusqu'aux psychoses bien établies, montre le champ d'action extrêmement vaste de la minaprine. Il apparaît qu'elle agit dans les indications suivantes:

- états dépressifs réactionnels (deuil, conflits familiaux, échecs, difficultés professionnelles);

- états dépressifs se manifestant par épuisement : fatigue, surmenage, troubles de l'attention et de la mémoire;

- états dépressifs chez des personnalités paranoïaques et hypocondriaques;

- névroses obsessionnelles;

- psychasténie;

- maladies psychosomatiques.


Si l'on tient compte de la symptomatologie plus ou moins habituelle dans ces indications, l'Agr 1240:

- stimule les activités intellectuelles, la mémoire:

- lève les inhibitions affectives, intellectuelles ou sexuelles (action sur l'éjaculation précoce et l'impuissance);

- diminue la fatigue intellectuelle et surtout la fatigue matinale des déprimés ou surmenés;

- augmente le rendement du travail et l'intérêt aux activités et à la création, et augmente l'énergie psychique;

- incite à agir, à sortir de l'apathie et améliore les relations avec autrui en facilitant la parole, augmente l'agressivité quand la personnalité est timide ou timorée, ce qui est positif pour tout traitement psychothérapique;

- supprime ou diminue les troubles hypocondriaques liés a l'anxiété, et en particulier les troubles colitiques ou les tachycardies;

- diminue l'anxiété diurne;

- facilite l'endormissement (quand le produit est pris le soir au dîner) (1).


Cette large action de la minaprine s'oppose dans un premier temps à sa commercialisation. Il faut reconnaître que si ce produit existe aujourd'hui en pharmacie, cela tient a deux facteurs: la persévérance de J.-P. Muyard qui sut convaincre le laboratoire Clin-Midy de pousser les tests cliniques et l'élaboration du concept d'inhibition de l'action par Laborit, qui permet de cerner les indications thérapeutiques de la minaprine. Entre la publication du concept d'inhibition de l'action et les travaux princeps de Laborit sur le cerveau humain, vingt ans se sont écoulés qui lui ont permis de parfaire sa connaissance du système nerveux central...

Laborit étudie systématiquement toutes les grandes familles de molécules agissant au niveau du système nerveux central. Il déplore les effets abrutissants de tranquillisants tels l'équanil et les benzodiazépines qui ne remédient en rien aux causes de l'anxiété. Il distingue trois types de substances à action stimulante sur les comportements: les convulsivants, les stimulants centraux et les antidépresseurs. « L'intérêt des convulsivants n'est pas uniquement expérimental. Ils sont parfois utilisés comme stimulants cardiaques, et servent en psychiatrie à la réalisation de traitements de choc et comme activateurs de l'électro-encéphalogramme pour le diagnostic de l'épilepsie. Les stimulants centraux comptent parmi eux les méthylxanthines dérivés du café et du thé (caféine, théophylline, théobromine), qui permettent une activation des processus psychiques et améliorent la fatigue et la somnolence. Dans le même type d'action, les amphétamines augmentent la vigilance, l'attention et diminuent la sensation de fatigue. Elles provoquent l'euphorie et accroissent l'activité locomotrice. Les performances au cours des tests psychotechniques sont améliorées. Cependant, lorsque l'effet de la drogue a disparu, les performances peuvent être détériorées. Il s'ensuit que la drogue peut devenir un élément de l'ensemble environnemental et constitue un stimulus en elle-même.

« Les IMAO (inhibiteurs de la monoamine-oxydase) ont été couramment employés depuis 1952 dans les cures antidépressives jusqu'à ce que les antidépresseurs tricycliques leur succèdent. L'iminaprine calme les émotions sans perte d'initiative . Elle provoque en quelque sorte essentiellement un ralentissement de l'idéation dépressive.

Rappelons que l'Agr 1240 augmente l'efficacité intellectuelle et donne une capacité accrue au travail, une plus grande lucidite psychique et une meilleure organisation de la pensée et de l'imagination, une nette activation de la mémoire. Le phénomène le plus caractéristique paraît bien être la réapparition de l'énergie et la disparition de la fatigue chez le déprimé, une amélioration de l'activité sexuelle. En résumé, I'Agr 1240 ne semble pas intervenir directement, comme le font les autres antidépresseurs, sur le métabolisme des catécholamines. C'est un antinévrotique, dépresseur du système limbique. Il semble faciliter l'attention, ce qui est explicable par son action stimulante sur les noyaux intralaminaires du thalamus. Mais son action stimulante centrale paraît en rapport, sur le plan neurophysiologique, avec ses propriétés de dépression de l'hypothalamus antérieur. »

 

1. « Premiers essais cliniques de l'Agr 1240. Equipe soignante de la clinique de Cour-Cheverny. Coordonnateur: J.-P. Muyard ». Agressologie, 1972, t. 13, no 4, pp. 337-352.

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L'inhibition de l'action

 

Une remarque s'impose sur la progression de la pensée de Laborit entre 1950 et 1980, compte tenu de l'évolution sociale. La notion de « stress » que définissait H. Selye juste après la guerre comme l'influence nociceptive d'un contexte social en dysharmonie avec l'homme, a évolué. L'espace de fuite s'est restreint et les hommes se sentent enfermés dans une impasse à l'échelle planétaire au bout de laquelle l'initiative individuelle est dérisoire. D'où une lassitude qui se traduit par un fatalisme générateur d'inhibition: « Depuis les années 50 j'avais l'habitude de considérer que la pathologie pouvait résulter de la mise en jeu d'un système dit de " défense " dont j'ai signalé qu'il ne défendait notre vie qu'en permettant l'autonomie motrice, la fuite ou la lutte. Je considérais ce système comme devenu inadapté aux circonstances de la vie moderne. J'ai écrit que ce système, qui permettait à l'homme des cavernes de fuir ou de lutter contre l'ours du même nom, était devenu inopérant à la sortie de cette caverne contemporaine qu'est le métropolitain alors que le patron, le supérieur hiérarchique, ou 1' " autre " plus simplement encore, ne pouvaient être fuis ou combattus; que ces moyens de défense étaient devenus inutiles, mais qu'ils restaient toujours fonctionnels, et j'attribuais les désordres physiopathologiques à cette réaction devenue sans objet. Or, alors que cette opinion est maintenant largement répandue dans la communauté scientifique, je suis aujourd'hui conduit a la réviser. En effet, il faut bien comprendre que ce n'est pas cette réaction de fuite ou de lutte, bien isolée par Cannon, et devenue inutile, que maintenant je pense être à l'origine de la pathologie réactionnelle chronique, mais une autre réaction, celle commandant l'inhibition de l'action quand l'action s'avère impossible et qui dépend du système inhibiteur de l'action.

« Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je ne suis pas opposé à ce que l'on considère cette réaction d'inhibition comportementale comme une réaction " adaptative " elle-même, bien qu'elle me paraisse être la source de la pathologie réactionnelle. En effet, elle constitue un moindre mal puisqu'elle évite la destruction pure et simple de l'agressé par l'agresseur. Elle permet à l'agressé de se faire oublier, elle évite la confrontation. Ce qui fait son danger, c'est qu'elle est capable de durer si les conditions environnementales se prolongent sans changement. Capable d'assurer immédiatement la survie, elle sera capable aussi de mettre celle-ci en danger, si la solution qu'elle fournit, l'inaction, n'apporte pas une solution rapide au problème posé par l'environnement.


« L'idée générale qui m'a guidé est née de mes propres observations expérimentales. Elle peut se résumer en disant qu'un système nerveux ne sert qu'à agir. Tout ce qu' il peut faire en plus n'est que d'améliorer cette finalité première, suivant les possibilités que lui offre le niveau qu'il atteint dans l'échelle des espèces. Ce qu'il est convenu d'appeler la " pensée " n'est que le moyen le plus perfectionné, propre à l'homme, de réaliser cette fin. Or, l'observation d'un organisme, quel que soit le niveau d'organisation auquel on s'adresse de la molécule à son comportement, montre que les choses commencent à se gâter quand cette action devient impossible. Il était donc important, à partir de ce fil conducteur, d'étudier ces niveaux d'organisation, de préciser leur organisation dynamique, non pas isolément, mais en situation dans l'environnement.

« L'action sur le milieu se partage entre trois niveaux d'organisation. Le premier, le plus primitif, à la suite d'une stimulation interne et/ou externe, organise l'action de façon automatique, incapable d'adaptation. Le second organise l'action en prenant en compte l'expérience antérieure, grâce a la mémoire que l'on conserve de la qualité agréable ou désagréable, utile ou nuisible, de la sensation qui en est résultée. La motivation demeure la stimulation primitive interne et/ou externe, à laquelle s'ajoute le souvenir de l'action par laquelle elle a été assouvie ou non. L'entrée en jeu de l'expérience mémorisée camoufle le plus souvent la pulsion primitive et enrichit la motivation de tout l'acquis dû à l'apprentissage. Avec ce niveau apparaît l'émotion, c'est-à-dire la conscience des ajustements cardio-vasculaires nécessaires à la réalisation de l'action. Le troisième niveau est celui du désir, c'est-à-dire qu'il est lié a la construction imaginaire anticipatrice de la stratégie à mettre en oeuvre pour assurer l'action gratifiante ou celle qui permettra d'éviter le stimulus nociceptif. Le premier niveau fait appel à un processus uniquement présent, le second ajoute à l 'action présente l'expérience du passé, le troisième répond au présent, grâce à l'expérience passée, par une anticipation du résultat futur. Ainsi l'action est motivée toujours par la nécessité de maintenir la structure biologique: elle répond au principe du plaisir, même quand elle se plie au principe de réalité, que je préférais appeler le principe du moindre mal.

« Sur le plan neurophysiologique on peut décrire, semble-t-il, quatre types de comportements fondamentaux. Deux sont innés: ce sont les comportements de consommation (boire, manger, copuler) et les comportements de fuite ou de lutte. Les premiers répondent directement à un stimulus endogène. Les seconds à un stimulus externe. Deux autres sont acquis: L'un est celui de l'action récompensée ou permettant d'éviter la punition et capable de réenforcement. L'autre est un comportement d'évitement passif ou d'extinction. »

Le concept d'inhibition de l'action prend en pathologie le relais des maladies psychosomatiques en embrassant un champ beaucoup plus large (1).

« On a coutume de réunir sous le terme de maladies psychosomatiques certaines affections dont les plus connues sont l'asthme, l'hypertension dite essentielle, l'infarctus du myocarde, certaines dermatoses, l'ulcère peptique, l'arthrite rhumatoïde, la thyrotoxicose et la colite ulcéreuse. Et puis, on ajoute a cette liste le diabète, l'anorexie nerveuse, l'obésité, la thrombose, le torticolis et la crampe des écrivains, et cela sans définition bien précise, si ce n'est que cet ensemble disparate est par définition sous la dépendance de facteurs psychologiques. Comment ? On nous propose des arguments dont il faut accepter la certitude sur des coïncidences et des rapprochements cliniques. Mais s'il existe des maladies psychosomatiques, c'est qu'il existe aussi des maladies qui ne le sont pas. Or, nous venons de voir que si une fracture de jambe n'est pas une lésion psychosomatique, du moins en apparence (car son apparition n'est peut-être pas étrangère a un comportement particulier), la réaction neuro-endocrinienne qu'elle va déclencher ne sera peut-être pas sans relation dans son expression clinique et biologique avec l'histoire antérieure du sujet dans sa niche environnementale.

« Dans une maladie infectieuse par exemple, le microbe est bien en cause. Mais on ne fait pas un furoncle en plaçant des staphylocoques dans un tube a essai. Il faut un organisme qui réagisse à ces bactéries. Or l'un réagira en faisant un furoncle, l'autre une septicémie, et l'autre encore ne fera rien. »

La mise en jeu de l'ensemble d'aires cérébrales que Laborit a dénommé le système inhibiteur de l'action (SIA) implique une expérience antérieure négative. Le souvenir de l'échec met en jeu le SIA. Ces réactions comportementales font appel à la mémoire nécessaire à un apprentissage qui permet de classer les expériences gratifiantes et les expériences punitives.

Laborit étudie l'hypertension artérielle sur des rats placés dans des cages à plancher électrifie dans trois situations: a) les animaux ont la possibilité de fuir le choc électrique plantaire en passant dans un autre compartiment; b) les rats ne peuvent fuir et ils reçoivent la décharge; c) les rats sont mis dans l'impossibilité de fuir mais, places par paire, ils peuvent combattre. «Dans un premier travail (Kunz, Valette et Laborit, 1974) nous avions montré qu'une hypertension artérielle s'établissait chez le rat soumis à des stimulus aversifs (chocs plantaires) au rythme de dix cycles de vingt et une secondes par jour pendant sept jours consécutifs, lorsque ces animaux n'ont ni la possibilité de fuir la punition (évitement actif) ni de lutter (combat avec un autre animal de la même espèce). Il s'avérait donc que le système inhibiteur de l'action motrice devait être a l'origine de cette perturbation cardio-vasculaire stable.

« Or, ce système ne nous paraissait pas être mis en jeu immédiatement par l'animal soumis au stimulus aversif qui répond d'abord a une activité de fuite ou d'agressivité défensive. Il nous apparaissait qu'il fallait qu'il mémorise par apprentissage l'inefficacité de la fuite ou de la lutte pour s'inhiber. Dans ce cas on pouvait supposer l'établissement de traces stables semblables a une mémoire à long terme. Nous avons donc recherché si des électrochocs convulsivants suivis de coma de courte durée, appliqués immédiatement après chaque séance expérimentale étaient capables d'interdire la survenue de l'hypertension chronique. On sait en effet que ce procédé empêche le passage de la mémoire à court terme à la mémoire à long terme. Il est manifeste que si l'on interdit l'établissement de traces mémorisées par l'application d'un électrochoc convulsivant après chaque séance d'application des stimulus aversifs sans possibilité de fuite ou de lutte, l'hypertension artérielle stable que nous décrivons chez les animaux ne pouvant ni fuir, ni lutter, ne s'établit pas. »

Selon les thèses de Laborit, la pathologie prend place non seulement dans l'histoire du sujet, mais aussi dans celle de l'espèce dont l'évolution sociale progressive a perverti les besoins fondamentaux. L'homme ne connaissant pas les mécanismes de base de son système nerveux ignorait jusqu'à ce jour ce qui était nécessaire à son équilibre et il a progressivement enterré la nature réelle de ses pulsions en adaptant ses besoins à ceux de la société. Suivant cet ordre d'idée, Laborit est amené à s'intéresser aux maladies mentales: « Le névrotique s'exprime encore par son comportement qui constitue un langage, une forme d'action lui permettant d'influencer le milieu social qui l'entoure. Le psychotique est replié sur un monde imaginaire, dans l'impossibilité où il se trouve d'agir sur celui de la réalité sociale. L'hypothèse que nous proposons est que chez les psychotiques l'inhibition de l'action s'est enfermée trop longtemps, et surtout trop précocement, dans l'impossibilité de trouver une gratification dans le contact avec le réel et qu'il en est résulté une fuite stable dans une activité centrale qui ne fait plus référence présente avec le monde environnant. Fuite stable, car progressivement fixée dans une mémoire, c'est-à-dire dans des réseaux synaptiques codés et préférentiellement utilisés du fait de l'impossibilité de réaliser une autre expérience résolvant l'angoisse dans l'action. Les seules formes de dépression qui nous paraissent susceptibles de s'accompagner de perturbations biologiques profondes avec hypercortisolémie sont celles classiquement intitulées « endogènes », qui résultent de l'impossibilité d'agir à la suite de l'apprentissage des règles qui contrôlent socialement l'action, apprentissage qui s'inscrit depuis sa naissance dans la mémoire du sujet et qui entre en conflit avec des pulsions ou des automatismes acquis. L'événement qui a souvent servi à la classification nosologique nous paraît ainsi secondaire, car son contrôle variera avec l'expérience antérieure du sujet et ses possibilités de fuite dans l'agressivité envers les autres ou envers lui-même (suicide), dans la toxicomanie (alcoolique surtout) ou l'imaginaire (psychoses). »

Laborit désigne comme source fréquente des névroses l'angoisse qui naît de la confrontation de l'individu avec un environnement en constante mutation, ce que Alvin Toffler a appele le « choc du futur ». Mais pour Laborit, ce n'est pas 1'« hyperinformation » qui est à l'origine de ce malaise, mais l'absence de grille pour décoder ces situations nouvelles qui permettrait de construire des schémas existentiels adaptés à ces changements.

En dix ans, Laborit est parvenu a reconnaître les liens qui rendent l'individu dépendant de son environnement et dont découle toute une pathologie jusqu'alors mal définie. Il nomme le système inhibiteur de l'action, situe les principales aires cérébrales qui le constituent, leurs médiateurs chimiques et surtout comment cette boucle neuromotrice met en jeu, comme il l'avait proposé des 1960, la boucle intra-organique, neurovégétative et endocrinienne. Il montre que la norépinéphrine et le cortisol (cortisone), dont l'activité centrale du système inhibiteur de l'action déclenche la libération en conséquence de la non-résolution du conflit, gouvernent toute la pathologie et pas seulement celle qu'il est convenu d'appeler psychosomatique: pathologie infectieuse, tumorale, cardio-vasculaire, etc. On sait en effet que le cortisol détruit le thymus (glande indispensable à la production de certaines cellules sanguines assurant un rôle fondamental dans l'immunité) et qu'il bloque le système immunitaire. Ainsi, en inhibition de l'action, avec un taux élevé de cortisol, L'individu va se trouver désemparé devant la diffusion microbienne ou virale. Désemparé devant l'apparition de cellules cancéreuses qu'il aurait dû normalement faire disparaître. Le cortisol détruit aussi les protéines. Or le sommeil s'accompagne d'une restructuration protéique cérébrale, d'où, chez l'inhibé comportemental, l'insomnie, la fatigue. Le cortisol fait retenir l'eau et les sels par l'organisme, d'où l'augmentation de la masse sanguine. Par ailleurs la norépinéphrine, libérée conjointement, en diminuant le calibre des vaisseaux, diminue la capacité d'un système circulatoire déjà pléthorique: d'où les hypertensions et les accidents vasculaires, hémorragies cérébrales, infarctus du myocarde ou d'ailleurs. Le cortisol, enfin, provoque des ulcères de l'estomac. Toute cette pathologie est souvent dénommée de civilisation.

L'Agr 1240 ou minaprine, découverte par Laborit à la fin des années 60, agit comme inhibiteur de l'inhibition. Surtout prescrite dans le traitement des syndromes dépressifs, elle s'oppose à l'activité centrale de la glycine, dont on connaît le rôle inhibiteur, mais aussi à la libération de l'acétylcholine et de la sérotonine, autres médiateurs chimiques du système inhibiteur. Elle augmente l'activité oxydative phosphorylante neuronale et accroît la quantité de neuromodulateurs centraux: dopamine, norépinéphrine et sérotonine. Elle paraît agir en accroissant les échanges ioniques transmembranaires car elle perd ses principales activités sur les homogénats. Inhibiteur de l'inhibition, elle est aussi un activateur de l'action.

Il n'est pas prouvé que les médecins qui la prescrivent connaissent bien son mode d'action, mais la minaprine figure aujourd'hui sur bon nombre d'ordonnances en Europe et les Américains s'intéressent énormément à ce médicament. (2) Les résultats sont parfois surprenants. On a vu par exemple des petits enfants bègues recouvrer l'usage normal de la parole après seulement quelques jours de traitements.

Laborit devrait être satisfait d'un tel aboutissement dans ses travaux mais ce n'est pas le cas. Il se montre pessimiste à l'égard des « grands progrès » de la médecine moderne qu'il ne considère que comme une médecine d'urgence. « Certes, dit-il, si je contractais une pneumonie, je serais heureux de recevoir de la pénicilline. Mais pourquoi ai- je contracté une pneumonie? Parce que j'étais en inhibition de l'action, consciente ou inconsciente. Or, même en convoquant mon entourage familial, professionnel, etc., tous ceux qui remplissent ma niche environnementale, en scrutant l'établissement défectueux de mes relations interpersonnelles, de classes, de groupe, etc., on ne pourra jamais connaître le contenu de ce que les phénoménologistes appelleraient mon " vécu " que je suis moi-même incapable de pénétrer. Or nous négocions notre instant présent avec tout notre acquis antérieur, depuis notre naissance et peut-être avant. Avec ce que l'environnement, familial en particulier, a fait de notre cerveau immature à la naissance, pendant cette période de l'"empreinte" où nous ne savons pas encore qui nous sommes dans un milieu différent de nous, cette période où nous mémorisons sans savoir que c'est nous qui mémorisons. Nous négocions notre instant présent avec tout notre apprentissage, nos automatismes, tout ce monde inconscient qui vit en nous et constitue ce qu'il est convenu d'appeler une personnalité humaine. C'est cet ensemble invisible, inconnu, qui décide de mon inhibition ou de mon action à un moment donné de mon histoire et qui va donc présider à ma santé ou à ma maladie. Mais alors qui est malade et par rapport à quelles normes ? Est-ce l'individu à son niveau d'organisation psychobiologique, ou l'environnement social qui l'englobe? »

1. F. Rouleau: « Henri Laborit, les agressions et l'angoisse », le Monde Dimanche, p. XIV, 16 décembre 1979.

2. Le livre date de 1982. La minaprine a été retirée de la commercialisation à la fin des années 1990.

 

Sur le même sujet : les extraits du livre d’Henri Laborit : Pour quoi vous dire , (L’Harmattan), en ligne dans Google books.

Henri Laborit : Extraits de La nouvelle grille : Thermodynamique et information (en ligne)

Henri Laborit: Alfred Korzybski Memorial Lecture 1963: THE NEED FOR GENERALIZATION IN BIOLOGICAL RESEARCH : ROLE OF THE MATHEMATICAL THEORY OF ENSEMBLES Henri Laborit, . MD Centre d'Etudes Experimentales et Cliniques de Physio-Biologie, de Pharmacologie et d'Eutonologie de la Marine Nationale, Paris, France (Institute of General Semantics)

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