William Burroughs' letter on apomorphine &

Lettre de William Burroughs sur l'apomorphine 

 

Traduction française

I. Aubert-Baudron

 

 

15 juillet 1983

PO Box 147

Lawrence, Kansas, 66044

USA 

Chers Baudron

 

Un grand merci pour vos communications et pour vos efforts pour la cause de l'apomorphine. Le Docteur Dent, qui était l'homme le plus sain et le moins paranoïaque au monde, ne pouvait s'empêcher de voir une conspiration pour supprimer le traitement de l'apomorphine contre l'addiction, de la part de l'establishment médical , qui est, du moins en Amérique, très contrôlé par le Département des Narcotiques.

Et j'ai constitué un épais dossier d'enquêtes, de tentatives pour intéresser des médecins et des chercheurs, qui aboutissent toutes à une impasse. Certains des enquêteurs ont même perdu leur travail, pour avoir préconisé d'engager un procès sur le traitement de l'apomorphine.

Il faut aussi se souvenir que la synthèse des formules pouvait produire des composés avec une activité régulière beaucoup plus puissante et que le facteur nauséeux pouvait être éliminé. Le Docteur Dent ne pouvait insister trop lourdement ni trop souvent sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un traitement par aversion. (1)

J'ai fini par en conclure que des intérêts très puissants ne voulaient pas entendre parler d'une véritable cure de désintoxication, pas plus qu'ils ne veulent entendre parler d'un traitement contre le cancer.

Et ne suis donc pas surpris que tu te sois fait balader par les experts (2). La névrose alcoolique en vérité, quelle foutaise ! Le docteur Dent disait que la névrose de l'alcoolique réside dans le fait que celui-ci boit trop. Allez dire ça à un psychiatre !

Les médecins ont généralement des perspectives extrêmement limitées. Ils ont lu tout ce qu'il faut savoir sur n'importe quel sujet et se bornent à cela. Rien de ce qui outrepasse leur savoir ne peut valoir la peine d'être entendu. J'ai donc réellement laissé tomber il y a plusieurs années. Quelques médecins au Danemark utilisent toujours le traitement à l'apomorphine,

Mais ils se heurtent aux psychiatres. A mon avis, la majorité des psychiatres devraient être rétrogradés au rang de vétérinaires, mais ceci est valable pour la pratique médicale en général.

Intéressant, le rôle important joué par les voix dans la psychose. Le patient qui voyait les mots comme des entités parasitiques. (3) Les gens qui entendent des voix les décrivent comme très fortes et vibrantes, et ils n'arrivent pas à croire que les autres personnes n'entendent pas ces voix. Ils devraient être en mesure de mettre au point des micros sensibles qui captent le langage subvocal

Chers Isabelle et Jean-Louis,

Merci beaucoup pour votre longue lettre. Le texte ci-dessus est la réponse de William. Je trouve que "Notre Agent au Bunker" est une bonne traduction du titre (4). Vous savez que Belfond a édité JUNKY; ils devraient être OK pour ce livre. Flammarion a "HAVRE DES SAINTS" et "KENTUCKY HAM" de Bill Junior. Je suppose que Bourgois l'a refusé ?

Excusez-moi de ne pouvoir vous écrire plus longuement concernant les idées dans votre lettre - qui était fascinante. Pour le moment je tente de mettre ma correspondance à jour, etc. Mais s'il vous plaît restez en contact; nous soutenons tous deux vos efforts pour découvrir pourquoi la cure a été ignorée, et -- pour cette raison -- s'il est scientifiquement démontré qu'elle est aussi efficace que le croit William, et, dans ce cas, de quelle façon. Nous attendons des nouvelles de vos voyages. Tous vos meilleurs vœux.

James Grauerholz

 

Notes:

(1) Cure par aversion : Autre cure utilisant l'apomorphine en alcoologie, et basée sur ses propriétés émétiques : la cure par aversion qui se pratiquait alors consistait à faire boire au patient un verre de son alcool préféré, puis à lui injecter de l'apomorphine afin de le faire vomir, et ceci pendant une semaine, afin de provoquer ensuite un réflexe conditionné se traduisant par l'envie de vomir à la seule vue d'un verre d'alcool. C'est en pratiquant cette cure que le Dr Dent avait pris conscience des propriétés de l'apomorphine sur l'intoxication elle-même, auprès de patients qui ne vomissaient pas, et chez lesquels la cure n'engendrait pas de réflexe conditionné, mais qui cessaient néanmoins d'être dépendants.

(2) Dans le cadre de ma recherche, j'ai communiqué le protocole de cette cure à quelques médecins et psychiatres dans mon entourage professionnel : la première réflexion de l'un d'eux était que cette cure ne pouvait être efficace dans la mesure où elle ne prenait pas en compte la névrose du patient, cause sous-jacente à son alcoolisme. Un autre m'a dit que Burroughs n'étant pas une autorité scientifique, il ne pouvait considérer son témoignage sérieusement.

(3) Burroughs répond ici à ma lettre précédente, dans laquelle je lui avais adressé la traduction d'un enregistrement d'un patient à l'hôpital psychiatrique dans lequel je travaillais. Ce patient me décrivait les voix qu'il entendait dans sa tête, et les entités auxquelles il les attribuait, en l'occurrence, des pronoms (voir le chapitre "Mr B", "Le Carrefour des Impasses", à paraître chez Interzone Editions).

(4) A l'époque de cette lettre, je venais de traduire le livre de Victor Bockris : With William Burroughs - A Report from the Bunker. J'étais à la recherche d'un éditeur et je soumettais à Burroughs une traduction pour le titre, Avec William Burroughs - Notre Agent au Bunker - clin d'œil à Graham Greene -, sous lequel le livre a été publié (Denoël, collection l'Infini).

 

The "sober-you-up" drug" an article from the magazine "Doctor"

Apomorphine: documentation

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